Dans un monde où la production de masse efface trop souvent le savoir-faire artisanal, Candice Aubert-Dhô redonne ses lettres de noblesse à l’art textile. Engagée dans une démarche à la fois créative et responsable, elle tisse bien plus que des matières : elle tisse des histoires, des émotions et un lien profond avec son environnement. Je vous partage son univers où chaque fil a un sens et chaque création une âme.




Parcours pro et perso
Peux-tu te présenter brièvement ?
Je suis Candice Aubert-Dhô, artisane d’art textile engagée, membre des Ateliers d’Art de France et de RésoLaine/Lainamac, soutenu par la Fondation Bettencourt, engagée envers la filière laine française. Je réalise des panneaux muraux décoratifs sur-mesure avec des matières naturelles, en étant très exigeante sur l’origine et la traçabilité de ces matières.
Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’as inspiré à devenir artisane dans ton domaine ?
J’ai une formation initiale dans les métiers du livre, bien loin de toute école d’histoire de l’art ou de l’univers textile. Quand j’ai créé mon entreprise, je ne souhaitais pas rajouter « du capital au capital », il était donc important pour moi que ma démarche ait le moindre d’impact carboné possible. D’où mon besoin de me fournir en circuit courts, artisanaux ou français, à minima.
Inspirations et influences
Quelles sont tes principales sources d’inspiration ?
Je ne réalise pas de petites séries, je ne travaille qu’en sur-mesure je suis ainsi inspirée par les rencontres avec mes clients. Que cela soit un particulier ou un professionnel, nous échangeons et cela devient mon inspiration. Pour mes créations propres, ce ne sont que des pièces uniques. Je suis inspirée par les contrastes, les matières, la rugosité, la lumière transparente et la confrontation des textures.
Y a-t-il des artistes ou créateurs qui t’ont particulièrement influencée ?
Je ne peux pas ne pas citer Sheila Hicks ou Olga de Amaral ! Elles ont littéralement écartelé mon cerveau artistique avec leur approche textile. Leurs réalisations monumentales sont incroyables. Leurs parcours est une source d’inspiration, leur inventivité…. C’est en visitant l’exposition d’Olga de Amaral à la Fondation Cartier en octobre que j’ai eu un vrai choc artistique.
Processus créatif




Quel est ton processus créatif, de l’idée initiale à la réalisation finale ?
Quand un ou une cliente me sollicite, je tiens à échanger par téléphone ou visio si nous ne pouvons pas nous rencontrer directement. Je veux pouvoir « sentir » la personne, ses attentes, entendre ses mots… Mon objectif est d’entrer en lien, de la comprendre au mieux pour imaginer la pièce à créer.
Je demande à visiter les lieux où est prévue l’installation également. Cela me permet de comprendre le contexte, l’envie. Voir l’emplacement final m’inspire également et me permet de faire des propositions parfois inattendues par les client-es. Je m’inspire littéralement de notre échange, mais également de mon propre travail, si le client a repéré une pièce ou un échantillon dans mon portfolio qui lui a fait de l’œil. La nature enfin, me fascine par sa capacité à trouver toujours une porte de sortie, une alternative, une évolution. J’aime à me dire que je suis dans cette mouvance.
Je réalise donc un dossier complet faisant office de synthèse. Le dossier contient bien sûr les croquis que je propose avec des photos de matières pour des détails, afin de d’imaginer au mieux le rendu – ce qui est toujours difficile, se projeter ! Je réalise pour finir, une mise en situation à l’échelle pour valider les dimensions. Comme tout est réalisé à la main, une fois que je suis lancée… toute modification a des impacts. Je donne ainsi le maximum d’informations afin que mon interlocutrice puisse décider sereinement. Le devis est joint avec le dossier pour éviter toutes surprises.
Pour les professionnels (décoratrice ou architecte d’intérieur), je peux réaliser un échantillon pour valider le propos, en fonction de la dimension de la pièce souhaitée. Avant de me lancer, nous validons ensemble :
– le croquis et le prix
– le délai de remise de la pièce murale
– le système d’accrochage à prendre en compte
– la livraison ou la remise en main propre
Enfin, je peux envoyer des photos de la réalisation en cours, mais j’avoue n’avoir jamais eu à le faire, mes client-es veulent souvent la surprise à la réception.
Impact social et environnemental
Intègres-tu des pratiques éco-responsables dans ton travail ?
Ces pratiques éco-responsables sont la base de ma démarche. Comme je réalise tout à la main, la sélection de mes matières première est fondamentale. Je travaille des matières qui sont naturelles, non issues de l’industrie chimique ou plastique. Je travaille en circuit court et français afin de rester dans une économie circulaire locales vertueuse. En ce qui concerne la laine, il faut rappeler que tondre les moutons est normal, sans douleur et cela aide les bêtes à mieux vivre car leur toison pousse sans cesse. L’idée est de valoriser cette formidable matière aux nombreuses propriétés :
– elle est antistatique et donc ne retient pas la poussière
– elle possède des propriétés acoustiques appréciables
– elle brûle difficilement
– elle ne rejette aucune substance nocive dans les intérieurs.
Ainsi, je me fournis exclusivement chez des éleveurs ou filature française, il en reste peu en France ! Terrade et Fonty (EPV) sont dans la Creuse par exemple. Je travaille également avec des entreprises à taille humaine en Bretagne, comme Laine à L’Ouest, ou en Occitanie, comme Laines Paysannes. Et bien sûr, tout le mérinos d’Arles que j’utilise est français. Je le précise car les grandes enseignes vous vendront du mérinos qui vient 90% du temps de Nouvelle Zélande… Un peu dommage de faire traverser le monde à de la laine non ? D’autant plus que je trouve à côté de chez moi : j’habite à quelques kilomètres d’Arles. Cette traçabilité me permet de travailler à taille humaine et d’avoir un impact positif sur l’environnement, l’humain comme l’animal.
Par ailleurs, je m’entoure d’artisanes françaises de talents qui maitrisent leur savoir-faire : teinture naturelle, céramique… Autant de rencontres, autant de texture et de matières que j’aime à sublimer au cœur d’une pièce maitresse. Chaque tissage ou décor mural est ainsi la somme de plusieurs savoir-faire français. Je suis assez fière de cela, car cela donne une autre valeur aux objets qui nous entourent. Je crois beaucoup en cette phrase « quand on consomme, on vote pour le monde de demain ». Je suis heureuse de participer à changer le monde, par petite touches, par mon engagement et la confiance de mes client.es.
Choix des matériaux et techniques




Comment choisis-tu les matériaux que tu utilises dans tes créations ?
J’ai démarré avec la laine car elle s’impose au tissage quand on apprend. Mais j’aime la confrontation des idées et des matières : corde, céramique, lin, bois… le tissage permet une infinité de mélange ! C’est ce que j’aime dans cette technique : on peut tout tisser, même des cheveux ou du crin de cheval, des branches ou du verre ! J’y vois une formidable ode à notre humanité : nous sommes multiples et pourtant nous formons un tout sur notre planète. Le tissage est très symbolique pour moi. J’aimerai développer mon travail avec les céramistes et tourneur sur bois, pour des œuvres en plus grand format. Cela peut donner des choses formidables pour celles qui affiche l’audace dans leur intérieur !
Projets marquants
Y a-t-il une réalisation dont tu es particulièrement fière et nous raconter son histoire ?
Tous les projets sont uniques mais il est vrai que je me souviendrai de Mylène, qui habite vers Antibes. Elle souhaitait redécorer tout son intérieur suite au décès de son mari. Et pourtant, dans les mots que je lui demandais pour illustrer sa pièce, elle m’a dit « vie à deux ». Cela m’a énormément touché alors que nous échangions par téléphone. J’ai réalisé le tissage « grain de beauté » au format rectangulaire pour elle. J’ai alors disséminé des duo de pampilles d’argile dans sa tenture murale, toutes imprimées de feuilles d’olivier de mon jardin. Comme un rappel de chacun des souvenirs vécus… Elle m’a écrit une lettre de remerciement qui me donne la chair de poule à chaque fois. Ce genre d’expérience, pour elle et moi, cette véritable connexion… c’est inestimable.
Conseils pour les aspirants créateurs
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans le même domaine que toi ?
Lancez-vous. Testez ! Créez… N’ayant aucune formation, je n’aurai rien d’académique à vous apprendre, car j’ai tout appris par moi-même. En essayant, en tissant le soir après avoir couché les enfants, en me trompant et en recommençant. Rien n’est inné. L’échec fait partie du cheminement, ne lâchez rien !
Projets futurs




Comment vois-tu l’avenir de ton métier dans le contexte de la prise de conscience croissante de l’importance de la durabilité et de l’éco-responsabilité ?
Le virage éco-responsable doit se faire, ce n’est même plus une question. Je me sens donc très alignée dans les pièces que je réalise, je sais qu’elles dureront longtemps et qu’elles embelliront durablement les espaces de mes clients. Elles auront permis un impact positif sur toute une filière laine ou artisanale et ça, ce n’est pas rien. J’ai eu le plaisir de participer au collectif Les Partisanes#3 organisé par Caroline Pelleti Victor à Marseille en mars, j’y ai réalisé une collaboration avec Jérémy Aymard, ébéniste et sculpteur à la gouge : nous avons réalisé une assise mêlant végétal et minéral. J’exposerai pendant la Paris Design Week en septembre prochain, à la Galerie Joseph dans le Marais, à l’occasion du Showroom Oh My Laine : je vous y rencontrerai avec plaisir.
Questions « fast & curious »
Ta couleur préférée ?
Vert émeraude
Un livre, film ou œuvre d’art qui t’as profondément marqué(e) ?
Le radeau de la méduse, j’ai pleuré sans comprendre pourquoi quand je l’ai vu au Louvres. Les tentures monumentales d’Olga de Amaral.
Ton endroit préféré pour trouver l’inspiration ?
Une balade dans la Nature, un bout de caillou, une branche, un dessin de mes enfants… L’inspiration est partout. Les écorces et les roches sont particulièrement inspirantes !
Un proverbe qui te motive ?
C’est en forgeant qu’on devient forgeron.
Pour terminer, quels conseils donnerais-tu à ceux qui souhaitent adopter un mode de vie plus éco-responsable dans leur décoration intérieure ou leur mode de consommation ?
Ma transition personnelle vers un mode de consommation plus responsable a démarré en lisant les étiquettes des produits : nourriture ou vêtement. Je me suis rendue compte que je mangeais des choses dont je ne comprenais même pas le nom. Est-ce bien normal ?! J’ai arrêté. J’ai décidé de poser le produit dès lors qu’il y avait un mot incompréhensible. Cela m’a obligé à revoir ma façon de faire, d’acheter, de cuisiner. Je ne voulais pas me dire qu’en un sens, le paysan médiéval mangeait plus sainement que moi !
En ce qui concerne la décoration intérieure, je pense qu’à l’heure du télétravail et dans une période post covid, nous avons compris à quel point nos maisons sont des lieux « ressources ». A la fois cocon et refuge, mais aussi fenêtre sur le monde, ils sont nos lieux d’inspiration. J’aime la phrase de William Morris, fondateur du mouvement Art & Craft qui disait : « Entourez-vous de ce qui est soit utile, soit beau. » Tout est dit !




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